Ce samedi 24 août, par une journée d'une pluie sans fin, la Mère Monique a perdu son malade, son râleur, son mari, celui qui m'a élevée comme si j'étais sa fille, diminué par la maladie depuis plusieurs années, celui que nous appelions entre nous "le grand schtroumpf râleur".
Il était atteint de BPCO (broncho-pneumopathie chronique obstructive) depuis deux ans, avait échappé de justesse à une détresse respiratoire aigüe en février 2011, mais dans quel état ... avait perdu la vue peu après, la locomotion, l'appétit ...et a passé le plus clair de sa dernière année d'existence de séjour hospitalier en séjour hospitalier, ne revenant qu'épisodiquement à la maison.
Comme bien des hommes, il cachait sa détresse et son angoisse derrière une rage et une aigreur sans limites, dont la Mère Monique faisait la plupart du temps les frais.
Heureusement pour elle, elle tient plus du jonc qui plie mais ne rompt point. Sourire, la force se cache bien souvent derrière des apparences bien frêles.
Malgré cette horrible méchanceté qui l'habitait, et même si nous, sa famille, ses voisins, nous n'acceptions pas son comportement envers son épouse, nous pouvions comprendre l'immensité de son désespoir. Et parvenir à nous souvenir des bons moments passés ensemble plutôt que des mauvais. (et ce n'était pas toujours facile à réaliser ! )
Il nous semblait à tous bien terrible et bien injuste que sa constitution qu'il qualifiait lui-même à juste titre de "force de la nature" l'empêchât de mourir, comme le prévoyaient statistiques et corps médical ...
Heureusement, Dame Nature a fini par accomplir son oeuvre et l'a rappelé à elle, mettant fin à son trop long calvaire. Nous avons pu lui dire adieu, et avons été assurés que tout était mis en oeuvre par l'équipe de soins palliatifs pour qu'il puisse s'éteindre sans souffrance, de la manière la plus paisible que la science permette actuellement.
Une nouvelle existence s'ouvre dorénavant à la Mère Monique. Elle va pouvoir se reposer, prendre enfin soin de sa santé, vivre en paix et profiter des petits bonheurs de l'existence au jour le jour à son rythme et comme elle l'entendra.
Et ce jour, aux funérailles, j'ai mentalement chantonné cette chanson du grand Jacques (Brel) que le défunt aimait tant.
Comme elle reflète bien ce qu'il pensait, ce qu'il souhaitait, je ne résiste pas à vous en livrer les paroles :
Chanson du moribond.
Adieu l´Émile je t´aimais bien
Adieu l´Émile je t´aimais bien, tu sais
On a chanté les mêmes vins
On a chanté les mêmes filles
On a chanté les mêmes chagrins
Adieu l´Émile je vais mourir
C´est dur de mourir au printemps, tu sais
Mais j´pars aux fleurs la paix dans l´âme
Car vu qu´t´es bon comme du pain blanc
Je sais qu´tu prendras soin d´ma femme
J´veux qu´on rie
J´veux qu´on danse
J´veux qu´on s´amuse comme des fous
J´veux qu´on rie
J´veux qu´on danse
Quand c´est qu´on m´mettra dans l´trou
Adieu Curé je t´aimais bien
Adieu Curé je t´aimais bien, tu sais
On n´était pas du même bord
On n´était pas du même chemin
Mais on cherchait le même port
Adieu Curé je vais mourir
C´est dur de mourir au printemps, tu sais
Mais j´pars aux fleurs la paix dans l´âme
Car vu que t´étais son confident
Je sais qu´tu prendras soin d´ma femme
J´veux qu´on rie
J´veux qu´on danse
J´veux qu´on s´amuse comme des fous
J´veux qu´on rie
J´veux qu´on danse
Quand c´est qu´on m´mettra dans l´trou
Adieu l´Antoine je t´aimais pas bien
Adieu l´Antoine je t´aimais pas bien, tu sais
J´en crève de crever aujourd´hui
Alors que toi tu es bien vivant
Et même plus solide que l´ennui
Adieu l´Antoine je vais mourir
C´est dur de mourir au printemps, tu sais
Mais j´pars aux fleurs la paix dans l´âme
Car vu que tu étais son amant
Je sais qu´tu prendras soin d´ma femme
J´veux qu´on rie
J´veux qu´on danse
J´veux qu´on s´amuse comme des fous
J´veux qu´on rie
J´veux qu´on danse
Quand c´est qu´on m´mettra dans l´trou
Adieu ma femme je t´aimais bien
Adieu ma femme je t´aimais bien, tu sais
Mais je prends l´train pour le bon Dieu
Je prends le train qui est avant l´tien
Mais on prend tous le train qu´on peut
Adieu ma femme, je vais mourir
C´est dur de mourir au printemps, tu sais
Mais j´pars aux fleurs les yeux fermés, ma femme
Car vu qu´j´les ai fermés souvent
Je sais qu´tu prendras soin d´mon âme
J´veux qu´on rie
J´veux qu´on danse
J´veux qu´on s´amuse comme des fous
J´veux qu´on rie
J´veux qu´on danse
Quand c´est qu´on m´mettra dans l´trou
Une fois n'est pas coutume, il y a eu peu de larmes, beaucoup de joie, de paix, d'amitié, de partage, d'échanges de souvenirs, de sourires et de rires, à ses funérailles, ce jour.
Et je suis sûre qu'il en a été très heureux, perché là-haut.
Tchin tchin, à ta santé, Alex, nous levons notre verre de pastis en ta mémoire !
PS : avis à tous les gros fumeurs : le calvaire qu'a subi mon beau-père guette des millions de fumeurs. A l'époque où l'espérance de vie était nettement plus courte que maintenant, personne n'avait conscience des dégâts causés par la cigarette, vu toutes les autres causes de mortalité. Mais voilà, il faut se rendre à l'évidence, bien plus que les cancers du poumon et de la gorge, la BPCO est un gigantesque fléau en marche, bien pire que le sida, qui ne s'éteindra que des décennies après que la cigarette sera éradiquée de nos cultures. Imaginez que chacune de vos inspirations soit difficile même en étant relié en permanence à un extracteur d'oxygène et vous aurez une pâle idée de ce qui risque de vous attendre au tournant... un fumeur averti en vaut deux.