A force de me promener sur la blogosphère, j'ai rapidement bavé devant les laines "faites maison" que certaines d'entre vous produisent.
L'étape la plus facile était pour moi la teinture à base de colorants alimentaires, très très fun, et que j'apprécie beaucoup.
Ensuite, j'ai eu envie de "plus". Envie de produire quelque chose directement d'une toison que j'aurais récoltée.
Un peu fou comme challenge, alors qu'il existe de si belles pelotes dans le commerce, et que la laine filée main n'aura jamais autant de régularité, même avec plusieurs années d'entraînement.
En fait, c'est surtout venu dans l' idée de retour vers le passé, de de repli , d'introspection, d'écono-écologie durable ... d'un autre mode de vie, nettement plus slow, quoi.
Je vous avais déjà montré la laine dont Yvon m'avait aimablement fait cadeau, ainsi que le résultat une fois lavé.
Ce jour, je vous présente mon rouet, racheté d'un Monsieur qui fut un authentique éleveur de moutons - fileur de sa propre production, mais qui a maintenant tout arrêté :
C'est un rouet parfaitement contemporain, qui doit avoir entre vingt et trente ans tout au plus. A part un bout de courroie, rien n'a dû être remplacé. Il tourne bien.
A titre technique, c'est un simple entraînement tension irlandaise (je pense), à savoir le plus courant des rouets basiques.
Il ne restait plus qu'à ....
Mais entre ce qu'on voit sur les blogs et les forums, et ce que j'ai tenté de faire, il y a un sérieux fossé, et c'est rien de le dire.
Je me suis rendue chez Godelieve Boulert, rencontrée ce début de printemps à Namur, lors d'un salon traitant de la récupération. Autodidacte, elle traite la toison de ses propres moutons, ainsi que des toisons qu'elle récupère à gauche et à droite, et les file avec pas mal d'allure, faut bien le reconnaître.
Et comme son crédo est de faire partager ses trucs et astuces, elle "donne cours" à ceux et celles que le sujet intéresse, et aide même aux réparations des rouets abîmés.
J'y suis allée mercredi dernier, pour une petite journée, qui selon elle, devait largement suffire à nous lancer. Hum ! J'étais sceptique et j'avais bien raison de l'être.
Je me suis entraînée, esquintée plusieurs heures d'affilée sans rien tirer de ma machine, pas même cinquante centimètres de fil, dépit total. Je vous laisse imaginer le regard foudroyant que j'ai lancé à Délicieux Mari, lorsque de retour à la maison, il a osé me demander "et où se trouve tout ce que tu as fabriqué ??" Mais je n'ai rien fabriqué, mon amour .. je n'y suis pas parvenue !!!!!!
En fait, c'est bien plus complexe que ce que font croire les merveilleuses vidéos de fileuses expertes sur youtube.
C'est un peu comparable à apprendre à conduire une voiture avec des vitesses, il faut parvenir à gérer plusieurs choses à la fois en dégageant son esprit des choses inutiles en temps voulu. Pas gagné ...
En pratique, vous devez savoir que la pédale actionne un bras, lequel fait tourner une roue, laquelle au moyen d'une courroie, entraîne une bobine et un épinglier. Ce dernier élément sert à "tordre" votre fil.
Vous devez d'abord apprendre à lancer la roue et à toujours la faire tourner dans le même sens (peu importe lequel, on s'en fiche), car à chaque interruption de votre travail, par exemple pour réalimenter le fil en cours par une nouvelle mèche de laine, il vous faudra (du moins au début) arrêter le rouet, préparer votre matière et relancer le tout DANS LE MEME SENS.
Oooh, à vide, pas de problème, ça fonctionnait fort bien. C'est une fois qu'on amorce avec du fil puis de la laine que ça se corse. Il FAUT que l'épinglier tourne, or, au début, je n'y arrivais pas, et donc, aucun fil ne se formait. En fait, il faut surtout parvenir à ne plus regarder la bobine et l'épinglier qui tournent, pour se concentrer mentalement sur son coup de pédale, et préférer porter son regard sur les fibres de laine aspirées par le fil d'amorce, qui se transforment en un "fil" provenant de l'espèce de barbapapa mousseuse que vous avez sur les genoux, et dont vous êtes supposés extraire la quantité souhaitée pour alimenter le rouet avec régularité. Hum ...
J'avoue ici mon découragement, surtout lorsque Godelieve, très souriante, nous as assuré à toutes qu'il n'était plus nécessaire de revenir, car elle nous avait tout dit et tout montré, que le reste n'était qu'une question de patience et d'entrainement.
Comprenez ma détresse, moi qui ne suis pas une gourde avec mes mains, j'étais la seule à ne pas y être parvenue, des trois stagiaires accueillies ce jour-là ! Pfff
D'emblée, Délicieux Mari m'a demandé où il y avait lieu de jeter mes stocks de toison de mouton. Rires, sympa quand même, celui-là ! J'ai bondi "noooon ! pas touchhhhh!".
Penser que j'allais renoncer, c'était vraiment très mal me connaître, là.
Hier, me sentant bien disposée, j'ai posé le rouet dans la pelouse et me suis entraînée, et au bout d'une heure grand maximum, le miracle avait eu lieu, mon pied avait correctement "senti" le mouvement à donner à la pédale, et j'étais lancée.
Ce fut laborieux, il m'a fallu souvent arrêter, relancer la machine, réparer mon ouvrage cassé, réalimenter tout le bazard en laine .... mais à la fin de l'après-midi, j'avais exactement filé un écheveau de 39 grammes d'un fil horriblement irrégulier, variant par endroits entre la laine mèche et la laine "dentelle" à d'autres ....
C'est moche, je sais, mais j'en suis vraiment très fière.
Merci à toutes mes connaissances de ne pas s'être fichues de mon projet fou. Merci à la personne qui m'a transmis son rouet, à Yvon pour la précieuse toison de ses moutons, à Francine et Nadine, mes collègues de stage qui n'ont jamais cessé de m'encourager, et enfin à Godelieve pour ses précieux conseils.
J'ai remis ça aujourd'hui, et - comme quoi, c'est bien exact que c'est en forgeant qu'on devient forgeron - le résultat est déjà un tout petit peu moins moche qu'hier, sourire.
J'ai compté, j'ai obtenu cette fois un echeveau d'environ 34 mètres, pesant exactement 46 grammes. Youpie !
pardon ? Qu'est-ce que je vais en faire ? Je ne sais pas encore vraiment, mais ce qui est certain, c'est que je ne laisserai pas mes premiers essais en écheveaux "souvenirs" dans un tiroir sous prétexte qu'ils semblent moches.
Suite au prochain épisode !